Pierre Bayle et l'intégriste

Présentation sommaire du thème :

A l'aube du siècle des Lumières, une profonde amitié va être brisée par l'intolérance et le fanatisme. Le conflit à mort qui va dresser l'un des protagonistes contre son ami se trouve au cœur de la menace réelle (mais peu connue aujourd'hui) d'une guerre de religion qui aurait pu embraser toute l'Europe.

Le sujet traité à travers cette amitié brisée est la naissance vers 1700, à l'instigation de Pierre Bayle (que Voltaire considérera comme son père spirituel) de la liberté de conscience et du projet de séparation dans l’État du civil et du religieux.

Les quatre personnages de l'histoire sont : Pierre Bayle, le théologien Pierre Jurieu, le gouverneur de Rotterdam : Van Paets et la femme de Jurieu.

L'action se situe à Rotterdam, à l'Académie en langue française créée par le gouvernement néerlandais pour accueillir les protestants français traqués et persécutés par Louis XIV.

 Pierre bayle 2

Résumé :

Vers 1700, Pierre Bayle est connu à travers l'Europe par ses écrits pour la tolérance et contre les superstitions. Il est avec son grand ami le théologien Pierre Jurieu réfugié en Hollande, où le pouvoir du gouverneur Van Paets accueille et protège les protestants français persécutés depuis la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685.

Bayle et Jurieu sont liés par une profonde amitié. Jurieu exhorte Bayle à utiliser sa notoriété à travers l'Europe pour appeler à une large coalition contre la France catholique de Louis XIV. Malgré l'assassinat de son frère à Toulouse par la police du Roi, Bayle refuse. La montée sur le trône d'Angleterre du protestant hollandais Guillaume d'Orange radicalise la position de Jurieu, qui professe maintenant haut et fort que seules les autorités religieuses, représentantes de Dieu sur terre, sont légitimes à conduire un État. Bayle au contraire affirme la nécessité d'une séparation claire entre religion et État Il prône un gouvernement civil reposant seulement sur la raison et l'expérience. L'amitié est brisée. Jurieu tente d'abattre son ami par des procès et des diffamations. Mais le gouverneur Van Paets maintient toute sa confiance à Bayle. Alors Jurieu rejoint les extrémistes flamands et par ses sermons incendiaires et son activisme contribue au coup d'état qui renverse Van Paets et établit un pouvoir « religieux » en Hollande. Bayle perd toutes ses fonctions, et mourra dans un extrême dénuement. Mais la victoire des extrémistes sera de courte durée. Avec Bayle, l'Europe est entrée dans le siècle des Lumières.

 

Début de l'histoire :

A Rotterdam, Pierre Bayle arrive, défait, de Paris où il a, caché sous une fausse identité, assisté à l'autodafé de ses œuvres philosophiques en Place de Grève et aux proclamations virulentes d'un jésuite pour l'éradication, en application de la Révocation de l’Édit de Nantes, des réfractaires protestants. Reconnu, il a dû son salut à une famille de huguenots qui l'a soustrait aux soldats et au concours d'un prêtre catholique qui l'a aidé à quitter Paris de nuit. Accueilli à l'Académie protestante par ses amis intimes, le théologien Pierre Jurieu et sa femme, il apprend de Jurieu que son frère, pasteur à Toulouse vient d'être assassiné sur ordre de la police du Roi. Jurieu profite du profond désarroi de son ami pour lui enjoindre de mettre sa grande notoriété à travers l'Europe au service d'une guerre qu'une large coalition protestante pourrait mener contre la France catholique. Bayle refuse. Le lendemain, Jurieu tente de gagner à son projet l'Académie. Le créateur et protecteur de cette académie, le gouverneur Van Paets, rappelle aux Français exilés que la Hollande se veut terre de tolérance, de liberté religieuse et de paix.

 

Sources du « scénario » :

L'opposition idéologique puis politique entre Pierre Bayle et Pierre Jurieu a donné lieu à une abondante controverse littéraire entre les deux hommes, prolongée par leurs autres publications. L'histoire politique de l'Europe à cette époque fournit les bases historiques.

 

Historique du projet :

Une année de travaux de recherche en milieu scolaire a été confiée par convention par l'Inspection académique des Hauts-de-Seine à Jean-Paul ZENNACKER en 2003-04.

Puis une première version à « une voix » a été réalisée par l'acteur pour une captation en direct sur DIRECT 8, à l'occasion du centenaire en décembre 2005 de la loi de Séparation des Églises et de l’État. Le surlendemain, l'acteur a joué le spectacle pour le Conseil Régional de Haute-Normandie dans l'Amphithéâtre de la Région à Rouen et le surlendemain, une autre représentation – pour scolaires – a eu lieu toujours à l'initiative de la Région au « Volcan », scène nationale du Havre.

 

 

Création Pierre Bayle et l'Intolérant

Fin du XVIIe siècle. L'Europe entière est au bord d'une guerre de religion. Le nouveau roi d'Angleterre, Guillaume d'Orange veut soulever tous les Etats protestants contre la France pour y rétablir le culte protestant que vient d'interdire Louis XIV. Parmi les exilés français accueillis en Hollande, un théologien, Pierre Jurieu, supplie son grand ami le philosophe Pierre Bayle à qui ses écrits pour la tolérance et contre les superstitions ont valu une réputation internationale d'appeler à la guerre. Bayle refuse. Dès lors, Jurieu va tout mettre en oeuvre pour arriver à ses fins.

Fin XVIIe siècle.Un projet de guerre de religion entre catholiques et protestants menace l’Europe,

à l’instigation du nouveau roi d’Angleterre, le hollandais Guillaume d’Orange, qui persécute les catholiques irlandais et veut rétablir le culte protestant en France, aboli par Louis XIV

(Révocation de l’Édit de Nantes).

 

Exilés en Hollande où ils ont trouvé refuge grâce au Gouverneur de Rotterdam (qui a créé une académie pour accueillir les protestants français exilés), deux très grands amis vont prendre des partis contraires. L’amitié laissera place chez Jurieu à une haine absolue.

Le philosophe Pierre Bayle est connu à travers l’Europe par ses écrits pour la tolérance religieuse et la dénonciation des superstitions.

Pierre Jurieu est théologien calviniste.

Jurieu demande à Pierre Bayle, vu sa notoriété internationale, d’appeler tous les protestants français exilés en Hollande et à travers l’Europe à s’engager dans cette guerre.

Bayle refuse le recours à la force.

Alors que Bayle avance vers le siècle des Lumières, Jurieu, révulsé au nom de son piétisme par la démocratie, évolue vers l’intolérance. Il veut non pas le gouvernement des hommes, mais le gouvernement de Dieu. Il prêche que les croyants sont blessés dans leur foi par l’étalage de la tolérance dans l’espace public. Il essaie sans succès à plusieurs reprises de faire condamner Bayle par un tribunal religieux, même par la haute Cour de Justice. Bayle habilement, se disculpe toujours avec ironie. Alors Jurieu s’allie aux extrémistes orangistes qui espèrent par l’intimidation et la violence (éditions brûlées, académie des sciences saccagée…) établir un état soumis à la religion. Jurieu et ses amis demandent que sa pension du gouvernement soit retirée à Bayle. Van Paets refusant de céder, avec l’appui de l’Angleterre ils vont renverser ce gouvernement.

Jurieu triomphe provisoirement; Bayle perd le droit d’écrire et d’enseigner. Mais il laisse ce testament :

La loi ne doit s’appuyer que sur ce qui est prouvé par la raison et l’expérience.
Et :

« La religion est une chose, qui ne doit pas entrer dans le droit humain et politique d’un État ».

Jean-Paul ZENNACKER Octobre 2016

 

 

BAYLE ET L’INTOLÉRANT

 

AVANT-PROPOS

Une très forte amitié lie le philosophe PIERRE BAYLE et le théologien PIERRE JURIEU. Tous deux ont dû fuir les persécutions et les massacres qui ont suivi la révocation par Louis XIV de l’Édit de Nantes qui instaurait la liberté religieuse en France. Ils ont trouvé refuge à Rotterdam. Le gouverneur de Rotterdam, ADRIAAN VAN PAETS, qui veut une Hollande tolérante et pacifique, a créé pour accueillir les protestants français en exil une Académie « Le Refuge ». Avec les subsides de l’État, Bayle y enseigne la philosophie et Jurieu, qui est calviniste, la théologie.Tous deux publient leurs ouvrages. Bayle a acquis une notoriété européenne grâce à ses écrits en faveur de la tolérance religieuse et contre les superstitions.

Le protestant hollandais Guillaume d’Orange est monté sur le trône d’Angleterre. Fanatique, il massacre les catholiques irlandais et entreprend un projet : prendre la tête d’une grande coalition européenne pour abattre Louis XIV et rétablir le protestantisme en France.

 

Bayle, qui a assisté caché à Paris à la crémation de ses livres en Place de Grève, échappe à l’arrestation et parvient à rentrer à Rotterdam.

Dès son arrivée, son ami Jurieu, heureux et rassuré par ce retour, l’exhorte à utiliser sa notoriété internationale pour appeler les protestants français exilés en Europe à rallier la guerre qui va s’engager grâce à l’Angleterre. Bayle refuse l’emploi de la force. Il convainc l’académie d’y renoncer .

Les deux amis se retrouvent à, table, au milieu du cercle de l’académie. Ambiance joyeuse. Jurieu fait en souriant remarquer à son ami que celui-ci est trop éloigné des choses concrètes et ne peut donc saisir bien la gravité des enjeux. Dès lors, Jurieu va continuer à vouloir retourner l’Académie. Ses études approfondies des textes « sacrés » - il est adepte du « millénarisme »-, lui font affirmer que la fin du monde est proche (nous approchons de l’an 1700) et que Dieu, qui, selon la Bible, s’est « toujours » servi de la force pour établir la vraie religion exige cette guerre. Avec l’appui du gouverneur qui rappelle aux pensionnaires français les lois de l’hospitalité, Bayle parvient à calmer les ardeurs au sein de la communauté protestante exilée aux pays-Bas.

Mais voici qu’une comète doit traverser le ciel. Pour Jurieu, citant Calvin, Dieu manifeste par les comètes sa colère et sa volonté. Bayle réfute et fustige avec force et ironie les superstitions.

Jurieu comprend les arguments de son ami, mais trouve son ami philosophe aveuglé par son manque de ferveur religieuse. La foi et les certitudes de Jurieu se raidissent. Il reproche à son ami ses cours à l’université, qui invitent à raisonner, au lieu d’approfondir la foi et éloignent selon lui des devoirs envers Dieu.

D’ailleurs il interdit désormais aux étudiants la musique et la danse.

Dans son cours de philosophie à l’université de Rotterdam, Bayle exhorte ses étudiants à passer au crible de la raison tout ce qui est généralement admis de siècle en siècle par habitude, par confort, par superstition.

Jurieu s’offusque de ce qu’il estime être une contestation des dogmes. Il va obtenir que des parents se plaignent au gouvernement des cours de philosophie de Bayle, qui mettent en cause les fondamentaux de la religion.

De son côté, Van Paets, le protecteur de Bayle et de l’académie se voit de plus en plus contesté par son opposition orangiste, qui l’accuse de faire le jeu de la France catholique en prescrivant la tolérance et en refusant la guerre « sainte ».

Convaincu et sans cesse renforcé dans ses convictions par l’évolution de la pensée de Bayle, qui annonce le siècle nouveau, celui « des Lumières », Van Paets tient tête à son opposition. Soulignant à toute occasion les malheurs causés à travers les siècles par l’intolérance religieuse, il a gagné une large adhésion publique.

N’ayant rien à espérer de Van Paets, Jurieu se rapproche des Orangistes. Il obtient de prêcher dans la cathédrale de Rotterdam : ses sermons intolérants deviennent virulents. Une de ses cibles favorites : la démocratie, qui annonce selon lui la décadence.

La discorde entre les deux amis est à présent publique. Jurieu parvient à faire traduire Bayle devant le consistoire (tribunal religieux) et l’y accuse d’irréligion. Le débat théologique tourne à l’avantage de Bayle, qui rappelle que toute religion affirme être la seule vraie, que l’erreur est toujours possible, car elle est causée par les préjugés de l’éducation et par des passions. Bayle établit aussi la différence entre foi et religion. Il est disculpé.

Un livre paraît anonymement : « L’Avis aux réfugiés ». Jurieu soupçonne (à raison) Bayle d’’avoir écrit cet ouvrage en faveur d’une paix qui, selon lui, profiterait à la France catholique. Sa rancœur contre Bayle et le gouvernement s’accentue.

Puis juste après, il trouve l’occasion d’accuser Bayle d’avoir participé à un complot ourdi en Suisse : un projet de paix européenne qui nuirait à la Hollande mais favoriserait la France. Bayle est traduit devant la haute Cour de justice pour haute trahison. Mais, malgré le soutien bruyant des orangistes, l’accusation de Jurieu, qui doit reconnaître qu’il n’a pas de preuves, s’écroule.

Jurieu soutient à présent les extrémistes orangistes. Ensemble, ils appellent à un gouvernement, non des hommes, mais de Dieu. Jurieu proclame : le respect des convictions religieuses de chacun ne peut supporter la tolérance dans la sphère publique. En chaire, il appelle à un gouvernement contrôlé par des religieux.

Les extrémistes flamands réclament une censure des écrits portant atteinte à la religion. Certains, dans la majorité, souhaitent des concessions. Van Paets refuse l’engrenage des concessions. Les extrémistes portent la contestation brutalement dans la rue. Ils provoquent des troubles, détruisent les locaux de l’éditeur de Bayle, puis saccagent l’Académie des sciences dont les dernières découvertes astronomiques sont, selon Jurieu, inspirées par des athées. Le gouvernement est accusé de provoquer par son laxisme le désordre.

Willm adresse un courrier à Van Paets. Pour apaiser la situation, il demande que le gouvernement retire à Bayle son soutien financier et son appui.

Van Paets et sa femme Astrid invitent Bayle dans leur maison du bord de mer. Van Paets est inquiet de la parution prochaine du nouveau livre de Bayle. Celui-ci révèle qu’il y démontre notamment que la religion ne rend pas les hommes meilleurs, puis affirme que ce vaste monde n’a pas été fait pour l’homme. Van Paets supplie Bayle de se méfier : Jurieu veut les abattre tous deux.

A Rotterdam, le renouvellement du Conseil doit être voté. Mais l’opposition exige en préalable que soit retiré à Bayle le soutien de l’État. Van Paets refuse. Avec l’intervention du Roi d’Angleterre, Van Paets est renversé. Jurieu triomphe. Van Paets doit fuir les Pays-Bas. Bayle refuse de partir. Bayle est traduit devant le synode : la salle est pleine d’orangistes. On ne lui laisse pas le droit de répondre à la charge hystérique de Jurieu. Accusé d’athéisme, crime suprême, il perd le droit d’enseigner et d’être édité. Mais il a publiquement appelé de ses vœux des lois dictées seulement par la raison et l’expérience, et proclamé la nécessité de séparer le civil et le religieux.

 

Jean-Paul ZENNACKER Octobre 2016.

 

ANNEXES

1. Historique du spectacle

2. Biographie de Pierre BAYLE

3. Biographie de Pierre JURIEU

 

 

1-Historique du spectacle

Le texte a été élaboré entre 2002 et 204 notamment dans le cadre d’un programme pédagogique conduit à la demande de monsieur Jean-Michel Sivirine, Inspecteur général des Hauts-de-Seine, au lycée de Villeneuve-la-Garenne (Val d’Oise).

 

Création en lecture spectacle (à un acteur – Jean-Paul ZENNACKER) pour la télévision – Direct 8 en direct suivie d’un débat à l’occasion de la célébration du centenaire de la loi de 1905 -sur la séparation de l’Église et de l’État.

 

Plusieurs autres lectures ont eu lieu l’année suivante à Paris.

 

Jean-Paul ZENNACKER reprend une nouvelle version du spectacle désormais scénique (toujours à un acteur).

 

 

2-Pierre Bayle

Philosophe, écrivain, enseignant

Né le 18 novembre 1647 à Carla-le-Comte (Ariège - France)

Mort le 28 décembre 1706 à Rotterdam (Pays-Bas)

Professeur de philosophie et d’histoire à l’École illustre de Rotterdam. Il publie en 1682 sa célèbre Lettre sur la comète, rééditée en 1683 sous le titre de Pensées diverses sur la comète – auxquelles viendront s'ajouter par la suite une Addition et une Continuation. Il y dénonce les superstitions et l'idolâtrie, et développe le paradoxe de l'athée vertueux. Il critique l’Histoire du calvinisme de l'ex-jésuite Louis Maimbourg.


 

Biographie

Pierre Bayle est le second fils d’un pasteur protestant. Instruit par son père, il apprend le grec et le latin. À cause de la pauvreté de sa famille, il doit attendre la fin des études de son frère aîné, Jacob, pour commencer son cursus à l'Académie protestante de Puylaurens.

En 1669, il entre au collège des jésuites de Toulouse et se convertit au catholicisme. Après dix-sept mois, le 21 août 1671, il abjure et revient au protestantisme. En tant que «relaps», il doit s'exiler à Genève, où il entreprend des études de théologie et de philosophie et découvre notamment la pensée de Descartes. Il gagne sa vie en étant précepteur.

Il revient incognito en France – pendant quelques années, il signe du nom de Bêle – travaillant comme précepteur à Rouen (1674) puis à Paris. En 1675, sur les instances de son ami Jacques Basnage, il est candidat à un poste d'enseignant à l’Académie protestante de Sedan où, à l’issue d’un concours et grâce au soutien de Pierre Jurieu, il est nommé professeur de philosophie et d'histoire.

En 1681, dans le cadre des mesures anti-protestantes, Louis XIV fait fermer l’Académie de Sedan et Bayle doit s'exiler aux Provinces-Unies. Le 8 décembre 1681, il est nommé professeur de 1684, Pierre Bayle crée et rédige un périodique de critique littéraire, historique, philosophique et théologique, les Nouvelles de la république des lettres, qui rencontre dans toute l’Europe un rapide succès. Il rédige des comptes rendus de livres publiés et donne toutes sortes de renseignements sur les auteurs dans un style et sur un ton qui restent abordables. Il entre ainsi en relation avec les principaux savants de son temps. Il n'existe pas alors de distinction nette entre la « littérature » et la « science »1. En 1687, Bayle, malade, doit abandonner la rédaction de ce périodique qui sera repris par la suite, mais dont le véritable continuateur est l'avocat Henri Basnage de Beauval, qui crée l'Histoire des ouvrages des savants.

En 1685, après la révocation de l’édit de Nantes, Bayle apprend la mort en prison de son frère Jacob, qui avait refusé d'abjurer. Dans son Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : « Contrains-les d’entrer », il dénonce l'intolérance et prône une tolérance civile de toutes les confessions chrétiennes, du judaïsme, de l'islam et même pour les athées. En 1690 paraît un Avis important aux réfugiés exhortant les protestants au calme et à la soumission politique, ce qui provoque la colère de Pierre Jurieu. Ses ennemis, à la tête desquels se trouve Jurieu, parviennent à le faire destituer de sa chaire en 1693.

 

?Les questions politiques

En réalité, au-delà des querelles personnelles, ce sont deux conceptions politiques qui s'affrontent. Jurieu est partisan de la théorie du contrat2, et affirme que « le peuple est celui qui fait les rois » et que « quand une des deux parties vient à violer ce pacte, l'autre est dégagée »3. Bayle, suivant son « éthique d'historien »3 prône une loyauté envers la France. De là, deux attitudes pratiques. Jurieu pousse ses coreligionnaires à soutenir Guillaume III d'Orange contre Louis XIV pour instaurer en France une république. Bayle estime cette attitude risquée pour les protestants français qui soutiendraient les adversaires de Louis XIV engagé dans la guerre de la Ligue d'Augsbourg.

 

?Le Dictionnaire historique et critique

Ceci ne le gêne pas particulièrement pendant la préparation de son Dictionnaire historique et critique, œuvre majeure qui préfigure l’Encyclopédie. Ce Dictionnaire se veut, en première intention, la correction des erreurs des auteurs des dictionnaires précédents (en particulier Louis Moréri).

À travers une pensée en apparence errante, le principal enseignement de Bayle est que le monde ne se réduit jamais à une vision manichéenne et suppose le croisement permanent des points de vue et des opinions contradictoires.

Pierre Jurieu le dénonce au consistoire comme impie et, au Prince d’Orange, devenu roi d’Angleterre, comme ennemi de l’État et partisan secret de la France. Mais grâce à la protection de Lord Shaftesbury, il échappe cette fois aux coups de ses persécuteurs. Les dernières années de Bayle sont consacrées à divers écrits, provenant dans beaucoup de cas des critiques faites sur son Dictionnaire, qu’il cherche le reste de sa vie à développer. Il meurt de la tuberculose à Rotterdam le 28 décembre 1706.

Bayle est surtout connu comme sceptique. Dans son Dictionnaire, il se plaît à exhumer les opinions les plus paradoxales et à les fortifier d’arguments nouveaux, sans toutefois les prendre à son propre compte. Il pense que l'objectivité historique est possible si on respecte les principes fondamentaux de la critique historique, mais que cette objectivité n'est pas la vérité et que l'erreur est toujours possible : elle est causée par les préventions, les préjugés de l'éducation et les passions. Avec l’incrédulité qui règne dans ses écrits, il est déjà par son souci de la tolérance un philosophe au sens du XVIIIe siècle et il a frayé la voie à Voltaire.?

 

Publications

Une édition condensée du Dictionnaire historique et critique datée de 1780.

 

 

?3-Pierre Jurieu

  • Théologien calviniste, écrivain, enseignant, pamphlétaire

  • Né le 24 décembr(e 1637 à Mer (région Centre-Val de Loire)

  • Mort le 11 janvier 1713 à Rotterdam (Pays-Bas)

 

?Biographie

Son père, Daniel Jurieu, était le pasteur de l'Église protestante de Mer, petite ville du diocèse de Blois, et sa mère Esther Du Moulin (1603-1639). André Rivet et Du Moulin, ministres célèbres, étaient ses oncles maternels. Pierre Du Moulin était son grand-père.

Il étudie d’abord en France, à l’académie de Saumur et à l’académie de Sedan, et soutient une thèse de théologie intitulée De Vita Dei (1657). Puis il poursuit ses études en Angleterre et en Hollande. Il revient ensuite à Mer (1660) où il succède à son père.

L’académie de Sedan ayant été ôtée aux calvinistes en 1681 par Louis XIV, Jurieu fut destiné à exercer les fonctions de ministre à Rouen ; mais son libelle intitulé La Politique du clergé de France l’obligea à s’exiler en Hollande dès 1681 (soit quatre ans avant la révocation de l’édit de Nantes), où il devient pasteur et professeur de théologie à Rotterdam. Il y eut des démêlés très vifs avec son collègue de l'École illustre Pierre Bayle, avec l'avocat Henri Basnage de Beauval, avec les pasteurs Élie Saurin et Pierre Méherenc de La Conseillère. Il s’y érigea même en prophète et prédit dans son Commentaire sur l’Apocalypse, qu’en 1689 le calvinisme serait rétabli en France.

 

Son œuvre

On a de lui un très grand nombre d’ouvrages. Les principaux sont :

Les Lettres Pastorales adressées aux Fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, du 1er septembre 1686, au 1er juillet 1689 - Les Soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté, Amsterdam, 1689. - Traité de la dévotion - Écrit sur la nécessité du baptême - Apologie de la morale des prétendus réformés - Préservatif contre le changement de religion, ou Idée juste et véritable de la Religion catholique romaine, opposée aux portraits flattés que l’on en fait, & particulièrement à celuy de Monsieur de Condom, 1680, opposé au livre de l’exposition de la foi catholique de Bossuet - Lettres contre l’Histoire du Calvinisme de Louis Maimbourg, et plusieurs autres lettres de controverse entre autres celles qui sont intitulées les derniers efforts de l’innocence affligée - un Traité de l’église, où il affirme qu’elle est composée de toutes les sociétés chrétiennes qui ont retenu les fondements de la Foi, avec une réplique à Monsieur Nicole qui avait réfuté cet ouvrage - La Politique du clergé de France, ou Entretiens curieux de deux catholiques romains, l’un Parisien & l’autre Provincial, sur les moyens dont on se sert aujourd’huy, pour destruire la religion protestante dans ce royaume, vers 1681 - Histoire du Calvinisme & celle du Papisme mises en parallèle ; ou Apologie pour les Réformateurs, pour la Réformation, & pour les Réformés, divisée en quatre Parties ; contre un libelle intitulé L’Histoire du Calvinisme par Mr. Maimbourg, 1683 - Histoire des dogmes et des cultes de la religion des Juifs - L’Esprit de Monsieur Arnaud. - Deventer, 1684. - 2 vol. - Traité sur la théologie mystique, à l’occasion des démêlés de Fénelon avec Jacques Bénigne Bossuet

 

 

« On remarque dans tous ces ouvrages de l’esprit, du feu et de l’imagination, capables d’en imposer ; mais une fureur et des emportements indignes non seulement d’un chrétien et d’un homme de lettres, mais encore de tout honnête homme. »